UNE  VOIE  DE  L'EAU.
      Parmi la multiplicité des voies possibles, l'une, que l'on pourrait appeler la " voie de l'eau ", semble avoir été parcourue par un certain nombre d'alchimistes. Est-elle une voie alchimique ou une simple pratique spagyrique ?
      Le principe du travail sur l'eau est basé sur ce que l'on appelle la distillation par 4 : Lorsqu'on distille un liquide, la première fraction à passer est la partie " Feu ", la seconde la partie " Air ", la troisième la partie " Eau " et la quatrième la partie " Terre " (celle-ci peut rester dans le ballon de distillation). On va donc avoir le Feu de l'eau, l'Air de l'eau et ainsi de suite. C'est ce qui est expliqué dans la Nature dévoilée, livre peut-être inspiré de Paracelse. Du moins, cette façon de procéder un peu " intellectuelle " provient-elle des cercles paracelsistes des XVIe et XVIIe siècles.
      Pour que cette opération ait une chance de réussir, il faut des conditions particulières à la distillation. Si l'on porte à ébullition un liquide, il se produit deux phénomènes : D'abord des bulles de gaz apparaissent au sein du liquide. Dans le cas de l'eau, ce sont des gaz dissous. Puis d'autres bulles apparaissent lorsque le point d'ébullition est atteint (100°C pour l'eau, altitude de la mer et pression atmosphérique normale). Le liquide est alors agité par ces bulles. Lorsque la température d'ébullition est obtenue, on ne peut plus augmenter la température du liquide (la température d'ébullition est une constante physique) et la quantité de liquide distillé dépend de la surface du liquide. Ces phénomènes ne nous intéressent pas dans le cas de la distillation par 4.
      Ce qui nous importe c'est une autre série de phénomènes physiques : l'évaporation. En effet, dans la nature, l'eau ne bout pas. A la surface des océans, des lacs, des rivières, l'eau n'atteint cette température limite de 100°C que dans une couche d'épaisseur moléculaire en surface.
      L'évaporation dépend de la température du liquide (elle augmente avec celle-ci) et de la surface en contact avec l'air. Pour diminuer l'évaporation, on réduit la surface, par exemple en mettant sur l'eau d'un bain-marie de l'huile, de la paraffine ou des billes de plastique. Dans une casserole, la surface est constante quel que soit le volume restant (cylindre). Dans un ballon sphérique, la surface diminue (donc l'évaporation aussi), dans une fiole conique de type erlenmeyer, la surface augmente. Nous avons, de ce fait, la possibilité de ralentir ou d'augmenter le phénomène en fin de distillation uniquement en choisissant le type de contenant adéquat. Si l'on diminue la pression atmosphérique au-dessus du liquide, on augmente la vitesse d'évaporation ; la technique est délicate et dangereuse si l'on ne maîtrise pas bien le processus. Dans ce cas, les erlenmeyers sont proscrits.
      Ces données sont un peu techniques mais elles sont nécessaires pour comprendre le phénomène et pour en maîtriser les conditions. Les alchimistes du passé étaient de grands maîtres de la distillation. Dans certains laboratoires, les apprentis passaient des années à apprendre à entretenir un feu, à distiller de l'eau, etc. Formation nécessaire lorsqu'on n'avait pas à disposition les régulateurs électriques et le pyrex. Distiller avec un alambic en terre cuite demande de savoir réguler exactement un feu et résoudre les problèmes d'étanchéité (luts, porosité) sous peine de voir se perdre la totalité des liquides.
      Donc, pour faire une distillation par 4, il faut évaporer lentement l'eau à une température qui est, disent les anciens, comprise entre 40°C (poule couvant ses œufs) et 60°C (soleil direct). L'expérience montre que l'on ne peut faire une telle opération avec un ballon normal. Tout étranglement entre le ballon de chauffe et le dispositif de réfrigération est préjudiciable. Avec un col normalisé de 32 mm ou 45 mm, la distillation ne donne que quelques gouttes. Il faut un véritable alambic à col large (au moins 100 mm). Les gravures anciennes montrent un contenant (panse) surmonté d'une sphère dite " tête de maure " dont la surface assure une réfrigération naturelle. Une rigole interne recueille le liquide condensé et le dirige vers un récepteur (matras). La panse et la tête de maure doivent être proportionnées (en gros 3/2 : 6 litres pour la panse, 4 litres pour la tête et le matras de réception, par exemple). Ce système avec réfrigération naturelle ne fonctionne correctement que si la température de chauffe est modérée. Le problème est de trouver un alambic de ce type. La panse peut être un ballon à col large et rodage plat dit " réacteur " dont la capacité va jusqu'à 20 litres. Le diamètre du col est normalisé à 100 mm. Pour la tête de maure, il faut la faire réaliser par un verrier compétent…
      Le chauffage peut être fait par bain-marie, bain d'huile ou chauffe-ballon électrique. Le tout est d'avoir une chaleur douce, répartie de façon homogène et régulière. Ce dernier point est le plus important. Si le chauffage est stoppé, la distillation échoue. La reprendre revient à faire passer de nouveau le Feu. En fait, lorsque l'on met un volume quelconque d'eau dans un contenant, il acquiert une " autonomie " que les dernières avancées de la chimie et de la physique expliquent partiellement : il y a des arrangements moléculaires qui se produisent. Pour employer un vocabulaire parascientifique l'eau se " polymérise " (ce terme n'a rien à voir avec la chimie, bien sûr). Donc, le chauffage agitant les molécules d'une certaine manière, ne doit pas être interrompu. Ce qui explique la difficile formation des anciens : tenir un feu de charbon à 60°C pendant des mois était un tour de force inouï.
      Cette distillation par 4 vise à obtenir les Éléments séparés. Mais il faut aussi avoir un support matériel. Ce produit est appelé gür. Ce mot, d'origine indiscutablement allemande, se trouve chez les paracelsistes et Basile Valentin. Qui l'a emprunté à l'autre ? Pour Valentin, le gür est la graisse des métaux (Dernier Testament) et l'Archéus est l'eau primordiale qui coule dans les veines métalliques. Je ne peux pas m'étendre ici sur ces problèmes…
      Il faut ensuite savoir ce que l'on va distiller. Toutes les eaux n'ont pas les mêmes propriétés : eaux de pluie, eaux de source, eaux de rivière, eaux de l'océan, neige, rosée, eaux d'orage…
      Le moment de la récolte doit être soigneusement étudié : nuit, jour…
      La période de l'année n'est pas non plus sans influence : printemps, automne…
      Prenons une eau de pluie. Elle doit être recueillie le plus naturellement possible et filtrée immédiatement pour éliminer les impuretés grossières (feuilles, etc.). La stocker dans des bonbonnes propres (neuves et lavées plusieurs fois) avec un simple bouchon de papier pour que l'eau respire, à l'abri de la lumière solaire directe (mais pas dans le noir) à une température de 25° à 30°C (un grenier l'été, près d'un radiateur l'hiver). En prévoir au moins 60 litres. La laisser évoluer à son rythme sans y toucher.
      Dès la récolte en prélever 2 à 4 litres selon le volume de l'alambic. La panse ne doit pas être emplie à plus des deux tiers. Mettons 2 litres. On chauffe doucement jusqu'à la température voulue. L'évaporation s'amorce. Le volume distillé est faible (dans mon cas, avec un alambic de 4 litres et 2600 ml d'eau, 100 ml en moyenne par jour). Ce volume n'est pas constant. La cause de cette variation m'a préoccupé pendant des années. Voilà mes conclusions : Si le volume distillé est suffisamment important, si le col est assez large et la vitesse de distillation assez lente, la pression atmosphérique fait varier le volume distillé :
      On remarque que le volume distillé (en bleu) est inversement proportionnel à la pression atmosphérique (en rouge).

      Rien d'extraordinaire, direz-vous. Certes. Sauf que la preuve est faite qu'en procédant lentement et doucement, en ne brusquant pas la nature, on peut mettre un liquide en phase avec les lois du cosmos.
      On obtient donc, avec mon exemple, quatre fractions de 500 ml. Si nous travaillons sur 3600 ml, c'est que nous ne nous arrêtons pas là. En fait il vaut mieux recueillir 12 fractions de 300 ml. La première représente le Mercure du Feu de l'eau distillée, la seconde le Soufre du Feu, la troisième le Sel du Feu, la quatrième le Mercure de l'Air, etc. C'est une variante de la distillation connue sous le nom de distillation par 4 + 3. Il est préférable, à l'expérience, séparer d'un coup les 12 fractions que de faire d'abord passer les 4 Éléments puis les 3 Principes…
      Ensuite, on recombine les Principes : Mercure du Feu, Mercure de l'Air, Mercure de l'Eau et Mercure de la Terre, etc., puis les trois Principes entre eux. Mais on peut aussi intervenir seulement sur les Eléments. La clef est dans la variabilité de leurs proportions : ceci la Nature dévoilée y fait allusion.
      Venons-en au gür. Là, c'est plus simple. Mais il faut une grande quantité d'eau et un autre type d'alambic :
      Un ballon de 6 litres, un système à reflux, un réfrigérant et une bouteille de 5 litres. Le petit tuyau entre les deux bouchons rouges permet d'alimenter l'appareil sans le démonter. Cette distillation en continu se fait à l'ébullition. Elle fournit l'eau distillée nécessaire pour d'autres opérations et concentre dans le ballon inférieur les résidus.
      Reprenons : L'eau stockée dans les bonbonnes s'est corrompue. Des algues microscopiques vertes sont apparues, puis l'eau a pourri et un " nuage " blanchâtre s'est formé. L'odeur de croupi est caractéristique de cette phase. Toutefois, si l'on utilise de l'eau fraîchement recueillie, on obtient aussi un dépôt (J'insiste, ceci a une grande importance : les algues ne sont pas la seule source de matière ; demandez-vous ce que l'eau d'orage peut apporter…) qui est, c'est logique, plus important avec de l'eau croupie. L'eau est versée dans l'alambic avec ce dépôt. Elle a un pH qui tourne autour de 7. La photo ci-dessus montre le ballon où ont été concentrés environ 60 litres d'eau. L'eau est de couleur acajou et le pH est de 9. Lorsqu'il reste entre 1 et 2 litres d'eau, on siphonne (l'alambic n'est jamais démonté) et on fait évaporer lentement le résidu (à 40°C) pour ne pas brûler le gür. C'est une poudre grasse, brune, légère. En 2001, j'ai obtenu 1,4 g pour 140 litres d'eau, ce qui fait une proportion de 1/100.000e. Ce gramme et demi de matière demande à être purifié pour obtenir un sel blanc. Ensuite, on verse dessus l'Archéus qui est produit en combinant les trois Principes en proportion variable. Une circulation permet l'absorption des liquides et l'on recommence (ce doit être une imbibition : en gros à poids égal, le gür devant paraître humide mais pas liquide). Peu à peu, la matière se sature, devient vivante et évolue. Elle doit être calcinée (noire) puis devenir rouge. Cette voie est très noble, très difficile et très longue. Ajoutons qu'hormis l'eau de pluie d'orage récoltée dans certaines conditions, les autres eaux sont polluées et impropres à l'Œuvre…
      Ce procédé est-il une voie alchimique ? Autrement dit, obtenons-nous finalement, une pierre philosophale ? Tout dépend de ce que l'on appelle pierre philosophale… Beaucoup de voies travaillent sur le bon support. D'autres sur la bonne énergie. Un support sans cette énergie est mort. Une énergie sans le support adéquat se dissipe. La difficulté, dans le cas présenté ici est de retenir l'énergie captée dans un support stable. Je ne pense pas que les carbonates alcalins obtenus conviennent.
      Par contre, si nous travaillons en spagyrie, nous voyons bien l'avantage de cette voie : nous obtenons un support instable donc une énergie facile à transférer. Nous sommes, ici, assez proches de la voie dont Armand Barbault nous a fait part dans L'Or du millième matin, ce beau livre empreint d'une nostalgique poétique.
      Je me suis intéressé, pour ce qui me concerne, à ce processus pour d'autres raisons : j'avais à résoudre de difficiles problèmes de pureté avec mes sels et il me fallait des eaux spécifiques. Le gür obtenu n'est qu'un résidu de ces travaux.
      Dans tous les cas, ce procédé demande une infinie patience…

Philémon.

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